J.-Fr. Champollion et les obélisques de Rome

(par Marie-Cécile Bruwier)

Liste d’obélisques de Rome. 1 p. in 8°. Mariemont, Farde 1018b, 7 ; n° 3196. 1825.
Liste d’obélisques de Rome - photo M. Lechien ©musée royal de Mariemont

La collection de Mariemont compte, parmi les douze autographes de J.-Fr. Champollion achetés par R. Warocqué, une liste d’obélisques de Rome avec des indications sur les souverains qui les ont dédiés. Suivant la mention inscrite d’une autre main en tête du document, cette note aurait été écrite « par M. Champollion (1825) à Rome ». Elle se rapporte à un projet de publication ; en effet, lors d’un séjour à Rome, J.-Fr. Champollion a été chargé par le pape Léon XII de publier un ouvrage sur les obélisques. Le savant français met son séjour à profit pour copier les inscriptions. Pendant les années qui suivent, il s’occupe de ce travail de manière intermittente mais il n’a pu mettre la dernière main à cette publication qui a été reprise plus tard par L.-M. Ungarelli (1779-1845) sous le titre Interpretatio obeliscorum urbis ad Gregorium XVI pontificem maximum (Rome, 1842) [Uphill & Dawson, p.422].

Pourquoi Champollion rédige-t-il cette liste : fait-il le plan provisoire de sa publication ou veut-il simplement fixer les idées de l’un de ses amis romains sur l’identité et l’intérêt historique des obélisques de la Ville Sainte?


L’égyptologue entreprend l’étude des obélisques trois ans après sa fameuse lettre à Monsieur Dacier. Il a compris le système de l’écriture hiéroglyphique. Il s’en donne à cœur joie pour lire les inscriptions gravées sur les monolithes. Au printemps de l’année 1825, J.-Fr. Champollion séjourne à Rome. Après un passage à Naples et la visite de Paestum, il se rend à Capoue et revient à Rome en avril. Il revoit les treize obélisques que présente la Ville éternelle. Il quitte finalement Rome, le 17 juin [H. Hartleben, p.311].
On peut le suivre presque quotidiennement grâce aux nombreuses lettres qu’il a expédiées et qui sont aujourd’hui conservées notamment à la Bibliothèque Nationale de Paris.
Il arrive le 11 mars par la Porta del Popolo et il y voit l’obélisque flaminien dont il copie ensuite l’inscription. À peine a-t-il trouvé un gîte modeste à l’hôtel Frantz, via Condotti, qu’il entreprend ses pérégrinations à travers la cité [H. Hartleben, p.299]. Ainsi, dès le 12 mars, écrit-il à son frère Jacques-Joseph Champollion-Figeac (1778-1867) [Uphill & Dawson, p.94-95] : « Les pieds, un peu enflés, ont fait leur service à merveille, et, sans autre guide que certains souvenirs topographiques, issus d’un vieux plan de Rome que j’avais examiné à Turin, sorti de mon hôtel, rue Condotti, je suis allé droit sur Saint-Pierre : vu que mon appétit était au comble, il fallait commencer par les gros morceaux. … De Saint-Pierre, j’ai couru à la place Navone, où j’ai salué le troisième obélisque (Pamphile), ayant déjà vu, en entrant par la porte du Peuple, l’obélisque flaminien et celui de Psammétichus à Monte Citorio. … En sortant de table, je pris mon café en face de la fontaine de Trévi. Je grimpai à Monte Cavallo, - de là à Sainte Marie-Majeure, dont l’intérieur, d’une richesse inconcevable, m’a paru plus noble et plus beau que Saint-Pierre même. … Je marchai ensuite droit sur Saint Jean-de-Latran, attiré par le plus grand et plus antique des obélisques de Rome, celui de Mœris. Les hiéroglyphes sont d’une exécution incroyable. … » [G. Mace, p.48-50].

Le 23 avril, J.-Fr. Champollion commence à copier les inscriptions des obélisques. Le travail est loin d’être aisé car les monolithes sont encore entourés de ruines, ce qui amène l’égyptologue à se plaindre de la négligence des pouvoirs publics. Par un heureux hasard, les fouilles effectuées à ce moment-là mettent au jour la base d’un obélisque qui vient enrichir la liste de ces monolithes d’un intéressant fragment sur lequel le déchiffreur lit le nom de Dioclétien. [H. Hartleben, p.304-305]


Dans une lettre adressée à l’Abbé Gazzera (1779-1859) [Uphill & Dawson, p.166], le 3 mai 1825, l’égyptologue explique son travail: «... Je m’occupe à force de copier les obélisques. Les gravures de Kircher [Uphill & Dawson, p.229] fourmillent de fautes, comme je le soupçonnais ; …».[G. Mace, p.56]. Dans une autre missive au même destinataire, Champollion poursuit le 29 mai 1825: «... Je dirai ici, pour ne point l’oublier encore que les petits cartouches du bas de l’obélisque de Saint-Jean-de-Latran, sur lesquels nous étions si éveillés, sont malheureusement de fabrique moderne et n’ont pas le sens commun, comme vous pourrez bien croire. Ils se trouvent sur une partie restaurée de l’obélisque : le vrai morceau antique est au Musée de Naples, où je l’ai reconnu ; mais il ne contient pas un tel déluge de cartouches ». [G. Mace, p.57].


Quelque temps plus tard, le 5 juin 1825, il s’adresse à son frère : «... Le Duc a saisi avec empressement l’idée d’élever, au milieu de la villa qui domine une partie de Rome, un obélisque, de quarante-cinq à cinquante pieds de hauteur, chargé de quatre longues légendes hiéroglyphiques coloriées et relatives au sacre du Roi. Les hiéroglyphes ressortiront en transparent, et cela fera un effet magnifique à ce que disent les architectes et décorateurs. On ne parle que de cet obélisque dans les salons, et il me tarde de voir illuminé cet aîné de mes enfants. Du reste, les inscriptions sont d’une élégance classique, et les hiéroglyphes sont combinés et dessinés de manière à ne rien craindre de la comparaison avec le voisin de la place du Peuple. Le tout sera ensuite gravé et publié avec la traduction dans la description de la fête. On distribuera provisoirement la traduction française et italienne du texte à tous les conviés ». [G. Mace, p.63]
En effet, en copiant les inscriptions des obélisques, il a eu l’idée d’en fabriquer un « moderne, haut de 40 à 50 pieds », qui serait érigé lors de la grande fête prévue à l’ambassade de France pour le couronnement de Charles X, à l’emplacement de celui qui avait été transporté à Florence. Quatre inscriptions en hiéroglyphes colorés devaient proclamer aux enfants de Romulus « la gloire du 65e successeur de Clovis » et rayonner la nuit. Champollion tient à cet hommage qu’il adresse moins au roi qu’à la France qui a favorisé la redécouverte de l’Égypte antique. Le 29 mai, le monument est achevé. [H. Hartleben, p.308-309]

Dans la liste d’obélisques conservée à Mariemont, J.-Fr. Champollion ne retient que huit monuments portant un texte gravé qu’il classe chronologiquement.


La carte ©Google Maps ci-dessous permet de localiser les treize obélisques de Rome. En cliquant sur les repères, vous obtiendrez quelques informations complémentaires. Lorsque les inscriptions hiéroglyphiques ont été publiées dans le corpus de Rosette, un lien permet d'accéder directement au détail et à la traduction (pour les repères en vert).